Ce jour-là, en fin de matinée, une voisine m’appelle : «  Viens vite voir ma nièce, je te l’ai amenée pour que tu la soignes, elle a eu un accident ! ».
Saboura a environ 15 ans, elle habite avec sa famille à N’Djaména et voulait rendre visite à sa tante au village. Alors elle a pris un bus (en Europe, c’est 9 places, mais ici, il peut transporter jusque 20 personnes, sans compter les enfants !), puis une moto-taxi pour arriver à Am Sénéna. Mais en face de la moto, un gros camion prenait toute la largeur de la piste et a obligé le chauffeur à faire un écart brusque. C’est alors que Saboura tombe et glisse sur le sable de la piste.

Je la trouve toute choquée de ce qui vient d’arriver, ayant mal partout à cause de sa chute. Sur une grande partie de ses bras, de son épaule, d’une de ses jambes, la peau est comme râpée et la chair est à vif. Elle est tombée sur la tête aussi, et en glissant sur le sable, ça lui a arraché plusieurs tresses en laissant une plaie superficielle, mais très douloureuse. Dans la culture, on ne tolère pas que quelqu’un exprime sa douleur, alors à chaque fois que Saboura réagit lorsque j’essaie de nettoyer ses nombreuses plaies, sa tante lui dit : « Saboura, chîli sabour » (littéralement Saboura prends patience, c’est à dire ne pleure pas, ne bouge pas, ne réagis pas).

Et elle répète cette phrase des dizaines de fois. Il faut dire que les blessures de Saboura sont vraiment très douloureuses et qu’il me faut beaucoup de temps pour les nettoyer de tout le sable qui s’y est collé, donc la tante a tout le loisir de répéter à l’infini « Saboura, prends patience ». Le plus cocasse dans tout cela, c’est que la signification du nom de Saboura est justement « patience » et à force d’entendre la tante répéter :« Patience, prends patience », cela nous fait sourire toutes les trois. Au point même que Saboura arrive à en rire, et c’est peut-être cela qui soulage ses douleurs, bien plus que mes soins !